Nous vous expliquions dans un article précédent qu’il était impossible de capturer naturellement l’odeur de certaines plantes. Ces fleurs « muettes » sont pourtant au cœur de nombreux parfums. Alors comment des fragrances peuvent-elles revendiquer être construites autour du muguet, du lilas ou du lys par exemple ? Grâce aux matières de synthèse ! Dans l’industrie du parfum, la synthèse est un terme bien connu et son utilisation intrigue autant qu’elle fascine. Démasquez les idées reçues et découvrez notre point de vue sur ce joli couple que forment Parfum et synthèse…
Les origines de la synthèse
Les matières de synthèse apparaissent au XIXe siècle avec l’essor de l’industrialisation et de la chimie organique. C’est le chimiste Luigi Chiozza qui a été le premier à synthétiser l’arôme naturel de la cannelle en 1856. Depuis cette découverte, les chimistes se sont intéressés à ce nouveau procédé en synthétisant d’autres molécules odorantes. En 1868, c’est au tour du britannique Sir William Henry Pekin de découvrir la coumarine, une substance naturelle organique présente dans la fève tonka. Cette molécule à l’odeur d’amande, de tabac et de foin séché est encore aujourd’hui très utilisée, notamment dans la plus gourmande de nos fragrances : vanille. D’autres découvertes ont suivi comme la vanilline, composé odorant présent dans la gousse de vanille, ou encore l’ionone qui permet de reproduire le parfum de la fleur de violette.
Pour faciliter le travail des parfumeurs et distribuer ces nouvelles molécules, les producteurs d’ingrédients de synthèse ont l’idée, dès le début du XXème siècle, de créer des « bases » pour les parfumeurs. Ces mini-compositions prêtes à l’emploi reproduisent l’odeur de produits naturels, jusqu’alors seulement disponibles en essence ou en absolue. Premier avantage de la synthèse : son coût moins élevé !
Mais ces bases étaient également des reconstitutions d’odeurs impossibles à extraire naturellement comme le chèvrefeuille, le pois de senteur ou encore le freesia. Ces mini-compositions allient matières synthétiques et naturelles, permettant au parfumeur de créer de nouveaux bouquets originaux.
La synthèse, à quoi ça sert ?
Les matières de synthèse offrent de nombreux atouts appréciables par le parfumeur mais pas seulement. Elle permet notamment de :
- ? reproduire le parfum de certaines matières premières qui ne peuvent être extraites naturellement.
- ? recréer une odeur éphémère et immatérielle, comme le parfum des embruns marins par exemple.
- ? protéger des espèces en évitant l’exploitation intensive de certaines matières premières protégées ou d’animaux menacés d’extinction. Pour vous donner une idée, les muscs animaux, provenant du chevrotain porte-musc, sont interdits par WWF. Mais cet ingrédient est presque indispensable en parfumerie car il sert de fixateur dans les formules. Pour reproduire ses notes chaudes et enveloppantes, le parfumeur peut désormais utiliser des végétaux à odeur musquée (la teinture de truffe ou l’ambrette par exemple) ou des matières de synthèse totalement artificielles. Le travail du parfumeur-créateur consiste alors à trouver l’équilibre entre les matières choisies pour créer sa propre version du musc.
- ? démocratiser l’usage du parfum en assurant la production en grandes quantités d’ingrédients très rares, baissant ainsi leur coût. Autrefois réservé aux hautes classes sociales à cause du coût élevé des matières premières naturelles, le parfum est désormais plus accessible.
- ⏳ améliorer la qualité et la durée de vie des parfums grâce à la stabilité des matières synthétiques.
- ? rendre plus sûres les formulations, qui comportent moins d’ingrédients allergènes car la synthèse est très contrôlée.
Les matières de synthèse subliment ainsi les ingrédients naturels pour créer des fragrances équilibrées et harmonieuses. Grâce à la synthèse, les parfumeurs jouissent aujourd’hui de plusieurs milliers d’odeurs différentes à combiner dans leurs compositions olfactives, contre 300 auparavant ! Un chiffre qui ne cesse de grandir grâce à la curiosité et la créativité des parfumeurs…
Parfum et synthèse : les idées reçues
Les marques de parfums ont longtemps adopté une posture qui brouillait les pistes sur la composition de leurs fragrances. En effet, les mérites et l’exotisme de certains ingrédients venus d’ailleurs étaient devenus un véritable argument marketing. Mais sans la synthèse, point de Chanel N°5 sans aldhéyde, de Shalimar de Guerlain sans éthylvaniline ou encore d’Eau sauvage de Dior sans hédione ! Il est vrai que la sensualité du cuir ou la douceur de l’œillet peuvent paraître plus accrocheurs que l’isobutyl quinoléine ou que l’eugénol… La synthèse a longtemps souffert, et c’est encore le cas aujourd’hui, d’une mauvaise réputation à cause d’idées reçues. Pourtant, bon nombre d’entre elles ne reflètent pas la vérité. Quelques exemples…
❌ Des produits bon marché pour augmenter la rentabilité
Il est vrai que l’utilisation de matières premières naturelles peut être très coûteuses à cause de leur rareté, de leur provenance ou d’une méthode de culture longue et complexe. Toutefois, les molécules de synthèse ne sont pas toujours moins onéreuses que les matières naturelles. L’utilisation de la synthèse s’inscrit aussi dans une démarche éthique et écologique, comme un moyen de ne pas surexploiter certaines matières premières naturelles, comme le bois de rose par exemple.
❌ Dangereux pour la santé et l’environnement
Les molécules de synthèse ont longtemps été pointées du doigt par diverses associations de protection de la santé et de l’environnement. Mais en 1973, l’International Fragrance Association est créée pour mettre en place un code de bonnes pratiques autour des produits parfumés. L’IFRA se charge du contrôle des matières utilisées dans l’industrie de la parfumerie. Aussi, depuis plusieurs décennies, les ingrédients contenus dans les parfums subissent des contrôles très stricts au niveau européen pour garantir une utilisation sans danger. Sur environ 2000 nouvelles molécules qui émergent chaque année dans les laboratoires, moins d’une dizaine d’entre elles seront finalement commercialisées car les tests de mise sur le marché sont extrêmement onéreux et rigoureux.
❌ Un parfum 100% naturel est plus qualitatif
Aujourd’hui, très peu de parfums peuvent réellement se revendiquer 100% naturels. On estime à moins de 5% le nombre de ces compositions. Grâce à la synthèse, le parfumeur peut manipuler des odeurs sans craindre les variations saisonnières des récoltes car les produits synthétiques sont de qualité constante. Les molécules de synthèse, grâce à cette stabilité, améliorent la ténacité du parfum et y apportent plus de puissance. Enfin, la synthèse est largement utilisée pour sublimer des ingrédients naturels. Par exemple, le parfumeur peut ajouter dans une composition de l’éthyl-maltol, dont l’odeur de caramel révélera la facette gourmande d’une gousse de vanille.
Mais le synthétique n’est pas un gros mot, et certaines marques admettent (enfin) aujourd’hui avoir recours à cette phénoménale palette olfactive. C’est le cas par exemple de Mathilde Laurent, nez de la Maison Cartier, qui tenait à créer une fragrance entièrement synthétique pour montrer que la synthèse est « olfactivement qualitative et riche ». Et ce n’est pas AuParfum et ses rédacteurs passionnés et inspirés qui diront le contraire ! En 2015 déjà, ils nous invitaient à oublier les clichés qui dictent que seul un parfum naturel est de qualité. Qu’on se le dise : Parfum et synthèse font très bon ménage !
Comment synthétiser une molécule ?
Depuis la naissance de la chimie organique au XIXème siècle, les progrès en matière de purification des corps chimiques, d’isolation et d’analyse des structures des molécules n’ont cessé d’évoluer. Les chimistes peuvent ainsi isoler les composés odorants présents dans un ingrédient pour ensuite les purifier un à un et enfin en déterminer la structure moléculaire. Lorsque ces molécules sont clairement identifiées, ils peuvent procéder à l’étape suivante : reconstituer les molécules par des réactions chimiques à partir d’autres composés plus accessibles et plus simples. Ces composés sont ainsi assemblés pour former la molécule plus complexe recherchée.
Première étape : isoler la molécule
Mais concrètement, comment peut-on isoler les molécules d’un ingrédient ? Les chimistes possèdent plusieurs options pour séparer et identifier ces molécules odoriférantes :
- la première technique est celle du fractionnement. Il s’agit d’un procédé qui consiste à séparer les essences en isolant leurs corps chimiques. On distille ainsi un mélange liquide en plusieurs fractions successives grâce à des températures d’ébullition différentes. C’est grâce à cette technique qu’a été découvert le géraniol (dont l’odeur se rapproche de celle de la rose) qui a été distillé depuis l’essence de citronnelle. En fractionnant certaines essences, les chimistes peuvent obtenir une odeur différente de l’ingrédient initial.
- Pour reproduire l’odeur d’une matière naturelle, les parfumeurs utilisent généralement la technique du « head space ». L’odeur est alors capturée « in vivo ». La fleur est par exemple placée sous une cloche en verre munie de capteurs et remplie d’un gaz neutre qui va se charger des odeurs présentes sous la cloche. Les capteurs analysent ensuite le gaz recueilli pour identifier les composants de l’odeur. Cette méthode moderne permet au chimiste de capturer le parfum d’espaces immatériels comme la forêt ou la mer.
Seconde étape : la synthétisation
Lorsque les molécules sont isolées, la seconde étape est de les reproduire en laboratoire. Pour cela, les chimistes ont recours à deux méthodes :
- la synthèse totale qui consiste à « fabriquer » de toutes pièces une nouvelle molécule à partir de réactions chimiques
- l’hémisynthèse qui utilise une molécule de départ issue d’espèce chimique naturelle et dont la structure moléculaire est proche de celle que l’on veut reproduire. Les chimistes vont légèrement modifier cette molécule de base, appelée précurseur, pour lui donner de nouvelles propriétés odorantes.
Il existe ainsi deux types de matières de synthèse :
- les isolats qui proviennent de produits naturels. C’est le cas de nombreuses matières premières de synthèse. On pense à la coumarine qui vient de la fève tonka, l’indol que l’on retrouve dans le jasmin, l’eugénol dans le clou de girofle…
- Les matières de synthèse totalement artificielles qui s’obtiennent uniquement par des réactions chimiques comme l’aldhéyde, le méthylionone, etc.
Parfum et synthèse : notre Carrément Belle idée sur la question
Lorsque nous nous sommes lancés dans cette aventure en 1988, les débats autour de la synthèse étaient beaucoup moins présents. Notre objectif était (et n’a pas changé) de créer des parfums de grande qualité à prix justes, mettant en avant des ingrédients cultes de la parfumerie en y apportant notre touche d’originalité. Dès lors, le choix d’utiliser des matières premières naturelles dans chacune de nos fragrances était une évidence. Grâce aux conseils inspirés de notre parfumeur, nous décidions de bonifier ces ingrédients naturels grâce à la synthèse, pour explorer des territoires olfactifs plus étendus et améliorer la qualité et la durabilité de nos parfums.
Chaque parfum est créé à partir d’une inspiration, d’un souvenir, d’un voyage, d’un frisson éphémère que nous souhaitons vivre encore et encore… En sélectionnant de belles matières premières naturelles et en les associant à la créativité des matières de synthèse, nous parvenons à matérialiser ces émotions dans un flacon. Ces histoires parfumées seront ensuite contées différemment selon chacun d’entre vous. Nous sommes fiers de vous dire qu’alõ combine notamment 17 essences naturelles à la calone (ingrédient de synthèse à l’odeur marine). Ou que vanille fait appel à la coumarine pour la rendre encore plus gourmande ! L’essentiel est de trouver l’équilibre, pour que naturel et synthèse s’accordent harmonieusement et forment un joli couple parfumé…
Vous l’aurez compris, parfum et synthèse représentent selon nous un couple bénéfique et essentiel. Formidable outil, la synthèse permet au parfumeur de laisser libre cours à sa créativité, pour vous proposer des parfums audacieux, innovants, qualitatifs et à prix justes !
Et vous, que pensez-vous du recours aux matières de synthèse ?
Découvrez les fragrances citées dans cet article
20 Comments