Masculin mais féministe, sauvage mais raffiné, puissant mais délicat… En parfumerie, le cuir brouille autant les pistes que le nez. Son odeur animale est pourtant liée à l’histoire de la parfumerie depuis des siècles. Cuir et fragrance continuent encore aujourd’hui leur joyeuse cohabitation entre tradition et modernité. Depuis 2001, les cuirés sont officiellement devenus une famille olfactive à part entière. Petite et un peu à part certes, mais à l’odeur si particulière. Alors justement, que se cache-t-il derrière les facettes cuirées de vos fragrances ? Comment les parfumeurs parviennent-ils à recréer ces notes franches et atypiques ?
Naissance et évolution des notes cuirées
Sur le plan historique, le cuir et le parfum sont liés depuis fort longtemps. Le début de cette association date de 2000 ans environ avant Jésus-Christ. À l’époque, en Asie notamment, le cuir était déjà frictionné avec des écorces d’arbres odorants, tel que le kumquat, pour le parfumer. Quelques années plus tard en Espagne, les peaux sont traitées grâce à différentes senteurs comme le musc, l’ambre ou encore le camphre, tandis qu’en Italie, le cuir est parfumé avec une douce odeur d’amande, d’iris ou de civette.
Enfilez vos gants…
À partir de la Renaissance, le cuir devient le symbole du raffinement et les plus fortunés dépensent des sommes astronomiques pour se procurer les plus belles pièces tannées. Grasse, alors ville de tanneurs réputés, calme les effluves envahissants et nauséabonds des peaux avec des essences de fleurs. Catherine de Médicis implantera en France la mode du gant parfumé et la corporation des gantiers-parfumeurs sera créée jusqu’à sa dissolution en 1759. Si vous souhaitez connaître toute l’histoire des gantiers-parfumeurs, rendez-vous ici sur notre article dédié. L’origine de la parfumerie française moderne reste donc très attachée au travail du cuir.
… Et chaussez vos bottes !
Après Grasse, c’est en Russie que l’histoire du cuir et de la parfumerie nous conduit. La cavalerie russe et les danseurs de ballet inspireront bon nombre de nez avec l’odeur de leurs bottes cirées. En effet, les soldats et danseurs russes de l’époque faisaient briller et imperméabilisaient leurs précieux souliers grâce à diverses essences. Bouleau et sytrax aux senteurs fumées, goudronnées, aux notes de tabac et de réglisse, parfumaient ainsi les bottes en cuir de ces messieurs.
Cette odeur plaira particulièrement à la maison Guerlain, qui créera en 1875 le premier parfum Cuir de Russie. Cette fragrance si particulière à la fois puissante et animale, fera tourner les têtes. À tel point que chaque grande maison développera sa propre version du Cuir de Russie. On compte ainsi une cinquantaine de compositions portant ce nom depuis la Belle Époque. Considérée comme une fragrance masculine, le Cuir de Russie sera féminisé par Gabrielle Chanel en 1927, dans un style garçonne et androgyne.
Et maintenant ?
Quelques grandes fragrances cuirées verront ensuite le jour. Toutefois, l’engouement pour ce genre de parfum connait une forte baisse depuis ces dernières décennies. Depuis les années 80, ces notes puissantes attirent moins, autant les hommes que les femmes qui recherchent alors plus de fraîcheur. Les fragrances aux inspirations de cuir déclinent en même temps que les notes marines et les parfums plus « propres » connaissent un franc succès. Pourtant, certaines compositions font de la résistance et le parfum cuiré devient l’apanage des nez les plus expérimentés.
Avec l’essor de la parfumerie de niche, le cuir fait son grand retour. Il se fait discret dans les formules grâce à des notes moins sombres. On parle désormais de facettes cuirées. Il se dévoile plus soyeux et velouté, et évoque davantage la sensation du daim aux nuances fleuries et abricotées. Si le cuir végétal est en train de se faire une place dans l’univers du textile, il est fort à parier que de nouvelles pistes vont également s’ouvrir dans le monde de la parfumerie.
Le cuir, ça sent quoi ?
La famille des parfums cuirés est un peu en marge des autres car ces fragrances sont plus rares. Elles possèdent un parfum atypique qui reproduit les notes du cuir. Ces notes peuvent revêtir différentes facettes : fumée, goudronnée, brûlée ou encore des nuances de tabac. Au début, les parfumeurs grassois infusaient et tannaient des chutes de cuir avec de l’écorce séchée provenant du bouleau. L’essence de cette écorce deviendra ensuite l’une des matières premières phares des parfums cuirés. En effet, pour créer cette odeur de cuir, les nez créent des compositions à partir de notes sèches provenant des bois odorants, mais aussi des accords basés sur le tabac ou encore par l’assemblage de notes animales.
Les bois odorants
Pour apporter une facette cuir à une composition, l’utilisation d’essence de bois odorant était la méthode la plus utilisée. La plus connue reste l’essence de goudron de bouleau. Le goudron, ou poix de bouleau, est une substance que l’on crée en faisant chauffer de l’écorce de bouleau de façon hermétique pour obtenir une substance pâteuse composée de goudron et des cendres de l’écorce. En parfumerie, on obtient de l’essence de goudron de bouleau grâce à une longue distillation à la vapeur sèche de cette substance. Cette essence évoque la sensation olfactive d’un feu de bois, grâce à ses notes chaudes et fumées. On peut également avoir recours à l’essence de Cade. Cet arbre, également appelé genévrier cade, pousse majoritairement dans les régions côtières de la Méditerranée, du Maroc jusqu’à l’Iran. Son bois et ses racines sont distillés pour délivrer une essence à l’odeur fumée très puissante. L’essence d’agar, principal constituant du bois de oud, permet elle aussi de travailler des notes de cuir.
Les autres matières premières
Outre les bois odorants, il existe d’autres matières premières, naturelles ou synthétiques, qui permettent de créer des accords cuirés. Parmi elles on retrouve des résines telles que le sytrax et le ciste-labdanum. Leurs notes baumées, chaudes et animales sont puissantes et servent de base dans les parfums cuirs. Certaines fleurs possèdent aussi des facettes cuir, c’est le cas notamment de l’immortelle ou encore de la cassie. Enfin, on peut avoir recours à la chime de synthèse en utilisant de l’isobutylquinoleïne, que l’on appelle plus facilement IBQ. Ce composé artificiel, fabriqué en laboratoire, est manié par les parfumeurs avec une grande précaution. Son odeur est très brute et puissante. C’est un cuir « sec » qui dévoile aussi des notes vertes et peut évoquer l’asperge.
Aimez-vous les notes cuirées dans vos fragrances ?
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