Après une première escale en Asie, le nez chatouillé par une multitude de senteurs, nous vous proposons de reprendre la route pour respirer cette fois le parfum d’Afrique. Berceau de la beauté et du bien-être depuis des millénaires, le continent regorge de matières premières odorantes qui nous font voyager en quelques gouttes. Au cœur de ce territoire aussi vaste que parfumé, poser le pied en Afrique c’est mettre son nez en émoi. Entre rituels mystiques et ingrédients précieux, embarquez avec nous dans ce « carnez » de voyage olfactif.
Sur la route des parfums d’Afrique
Il est impossible de résumer l’Afrique en une seule odeur tant son territoire et ses cultures sont variés. Pourtant, à peine débarqué sur le continent, une senteur caractéristique émane et définira plus tard nos souvenirs olfactifs. Imaginez l’odeur d’une terre brûlée, d’une vie grouillante de monde et d’animaux, de poussière, de fleurs, d’épices… Entre moiteur et délicatesse, l’Afrique s’exprime dans un parfum qui nous collera à la peau et aux narines. Ryszard Kapuściński, auteur et journaliste polonais, célèbre pour ses reportages réalisés au cœur de l’Afrique, exprime en quelques mots ce qu’est pour lui cette odeur si particulière :
Sur la passerelle de l’avion nous sommes accueillis par un parfum nouveau : celui des tropiques. (…) C’est l’odeur d’un corps chauffé, du poisson qui sèche, de la viande qui se décompose et du manioc frit, des fleurs fraîches et des algues fermentées. Bref de tout ce qui plait et irrite en même temps, attire et repousse, allèche et dégoute. Cette odeur nous poursuit, s’exhalant des palmeraies, de la terre brûlante. »
Ébène, Ryszard Kapuściński – 1998
En plein cœur des souks marocains
Débutons notre voyage olfactif en Afrique du Nord et plus particulièrement au Maroc. Le passage obligatoire du voyageur sera de se perdre dans les dédales colorés des souks de Marrakech. Derrière les portes de la Médina, juste à côté de la place Jemaâ El Fna, c’est un véritable spectacle pour les yeux et le nez qui s’offre à vous. Entre l’odeur des oranges fraîchement pressées, le doux fumet du thé à la menthe qui coule derrière les échoppes, et le parfum des brûleurs de gommes arabiques, tous les sens seront sollicités !
Si la danse parfumée de l’encens vous enveloppe doucement, c’est une senteur moins agréable qui vous attend dans le souk des tanneurs à Fès. Acceptez volontiers le brin de menthe que l’on vous proposera pour cacher les odeurs des pigments utilisés dans la préparation du cuir. Laissez ensuite votre nez vous guider jusqu’au souk Jdid à Essouira. Les effluves salés de l’océan se mélangeront aux parfums du marché à poisson et aux centaines d’épices odorantes que l’on vous vendra au kilo. Vous êtes déjà imprégné d’un doux parfum d’Orient…
Mille et une épices
Le nez émoustillé de tant d’odeurs, c’est le ventre creux que l’on pénètre dans les cuisines des familles africaines. Autour des marmites s’amoncelle une multitude de sachets d’épices de toutes sortes. Les saveurs piquantes du piment rouge chatouilleront d’abord la langue et le nez des plus courageux. Vous pourrez ensuite vous adoucir avec l’akpi, une amande provenant d’un arbre fruitier, ou encore grâce aux noyaux de mangues sauvages. Anis étoilé, cumin, safran et poivre blanc du Cameroun… Autant d’épices qui agrémenteront toutes les préparations pour vous faire vivre un voyage aussi bien gustatif qu’olfactif.
L’utilisation du parfum en Afrique
Entre parfum et encens : le thiouraye du Sénégal
Le thiouraye est un élément très fort de la culture olfactive de l’Afrique noire et plus particulièrement du Sénégal. Toutes les rues et les maisons du pays dégagent cette odeur chaude et apaisante. Encens artisanal, le thiouraye est un mélange de copeaux de bois, d’herbes odorantes et d’encens en grains, que l’on imbibe traditionnellement avec des ingrédients parfumés : du santal, du musc, de l’oud ou encore de l’ambre. Utilisé comme un encens, le thiouraye se consume pour embaumer les maisons et les vêtements. Les femmes sénégalaises se parfument avec et la légende veut que sa senteur enveloppante ensorcelle les hommes, hypnotisés par cette odeur sacrée !
Un processus ancestral
Il existe plusieurs variétés de thiouraye et pas vraiment de recette standard pour le fabriquer. Chaque femme crée sa propre composition et la transmettra à sa fille pour en assurer la pérennité. Le mélange est ensuite gardé dans un bocal en verre pour le laisser macérer pendant plusieurs mois, voire des années, pour que tous les parfums se lient entre eux. Après cette phase, le produit est prêt à être brûlé. Pour ce faire, les sénégalaises utilisent généralement un encensoir en terre cuite appelé « ande ». Rempli de braises ardentes et recouvert de cendres, le thiouraye exhalera ainsi beaucoup de parfum sans produire trop de fumée.
Le parfum mythique d’Afrique : Bint-El-Sudan
Pendant longtemps, c’est un parfum produit en Afrique qui a été le plus vendu au monde. Surnommée « le Chanel n°5 d’Afrique », cette fragrance encore largement méconnue s’appelle Bint-El-Sudan, soit la fille du Soudan. Elle est créée en 1920 par Eric Burgess, un aventurier britannique. Selon les récits, 14 chefs de tribus arabes seraient venus à sa rencontre lors de son voyage à Khartoum au Soudan. Les bras chargés de coffres remplis d’essences odorantes, ils lui auraient demandé d’en faire du parfum. Il s’exécuta dès son retour en Angleterre pour élaborer un parfum sans alcool et au mélange subtil. Une fois la composition sentie, les chefs de tribus se seraient tous écriés d’une même voix « Beimshee » (on y va, en arabe) !
La recette du succès
C’est alors qu’une véritable campagne de communication s’est lancée. Assez innovante pour l’époque, des affiches colorées furent accrochées dans toutes les rues des grandes villes sahéliennes. Le parfum se vendra d’abord aux pèlerins africains en direction de la Mecque. On l’utilisera aussi comme monnaie d’échange dans le commerce transsaharien. Pour certains, sa prospérité s’explique par son odeur caractéristique aux notes fleuries et sucrées mais aussi grâce à sa texture huileuse et grasse. D’autres parlent d’un succès « graphique ». Sur son petit flacon vert, on peut voir la seule femme aux seins nus visible au nord du Nigéria. Territoire où la charia est en vigueur. Quelle qu’en soit la raison, le Bint-El-Sudan est désormais un indispensable de la cosmétique féminine africaine.
Les matières premières emblématiques
Comme un retour aux sources, (les toutes premières formes de parfums apparurent en Égypte il y a près de 6000 ans) l’Afrique devient depuis quelques décennies une grande source d’inspiration pour les parfumeurs. Les laboratoires cosmétiques ont su exploiter les secrets de la culture africaine grâce à l’ajout de beurre de karité, de cacao ou encore du rassoul dans leurs formules. Mais les Nez ne sont pas en reste grâce à des matières premières exceptionnelles.
L’hyraceum ou la « pierre d’Afrique »
L’hyraceum est une matière première d’origine animale peu courante dans la parfumerie classique. Cette essence, issue des excréments fossilisés d’un rongeur qui ressemble à une grosse marmotte, est récoltée depuis l’Antiquité en Afrique de l’Est. L’hyraceum est un produit rare donc très onéreux. C’est également le seul ingrédient animal autorisé, avec l’ambre gris, car aucune souffrance n’est causée pour l’obtenir. Au niveau olfactif, la pierre d’Afrique dégage une odeur très animale avec une facette de cuir.
La fleur d’oranger de l’Afrique du Nord
La fleur d’oranger provient du bigaradier, arbre cultivé en Afrique du Nord, notamment au Maroc et en Tunisie. Originaire de Chine, le bigaradier aurait connu un engouement important dès l’Antiquité en Arabie. Sa culture s’est propagée sur tout le pourtour méditerranéen et en Espagne après son importation par les arabes. Ingrédient de choix de l’art culinaire marocain, la fleur d’oranger est synonyme de fête. En parfumerie, on apprécie toujours son odeur poudrée et sucrée. Nos parfums ippi patchouli et alfred kafé possèdent une discrète note de fleur d’oranger dans leur construction olfactive.
Le clou de girofle de Madagascar
Située dans la province du Tamatave, au nord de Madagascar, l’Analanjirofo, la « région des clous de girofle » en malgache, porte plutôt bien son nom ! C’est depuis ces collines que proviennent environ 40% de la production mondiale. Introduit au début XIXème siècle, ses fleurs sont ramassées à la main lorsque les boutons sont prêts à s’ouvrir. Ces boutons, appelés clous, sont ensuite séchés au soleil et revêtent leur couleur brune caractéristique. L’essence de girofle a une senteur chaude, camphrée et médicinale. Il s’agit d’une matière première largement utilisée dans les parfums orientaux et c’est ainsi qu’on la perçoit dans notre fragrance kilim.
Grâce à la technologie, et notamment à la technique de l’head space, mais aussi à la curiosité des créateurs de parfums, de nouveaux ingrédients sont étudiés chaque année. Tulipier du Gabon ou écorce de bois Makore de Côte d’Ivoire, de nouvelles notes pourraient bientôt s’inscrire dans vos fragrances. Ainsi s’achève notre seconde escale parfumée en Afrique. Rendez-vous dans un mois pour un nouveau voyage olfactif…
Découvrez les fragrances mentionnées dans cet article
Cette branche artisanale de l’Afrique est complètement ignorée. Ravie d’avoir découvert cet article. La photo est superbe.
Merci d’avoir pris le temps de nous laisser un commentaire.
Effectivement le parfum en Afrique est un artisanat ancestral qui a encore beaucoup à nous apprendre !
À bientôt pour de nouvelles découvertes olfactives,
La Carrément Belle équipe